Judith Lasry
J’ai rencontré Judith via Jill Cousin, puis lors d’un shooting avec le trio Gangster Bastille pour Home Magazine. Judith m’a ensuite invité chez elle à la campagne en Bourgogne, où j’ai photographié son atelier et la dernière étape de fabrication des assiettes qu’elle fait pour nous. Sortir les assiettes du four est une étape décisive où l’on découvre le rendu final de l’émail et de la terre cuits ensemble. Une étape qui est rarement sans surprise.
Judith Lasry façonne à la main toutes ses pièces et travaille uniquement en petites séries. Elle développe des émaux issus de matières qu’elle déniche autour de chez elle, en Puisaye, région qui lui fournit également sa terre de modelage. Depuis son atelier, Judith crée la vaisselle de restaurants parisiens comme Dersou, L’Office ou Mokonuts, qui cherchent à aller au bout de leurs démarches humaine et artisanale.
Parcours
Quel est ton parcours jusque-là et comment s'est initiée ton aventure dans la céramique ?
Cette matière est venue à moi par amour de la nourriture, de la cuisine et des moments passés à table.
J'ai fait des études en design à Paris.
A 22 ans en milieu de parcours, fatiguée d'apprendre à faire des plans et concevoir des choses fictives, je suis partie 6 mois en Chine dans une école d'art et design, j'ai suivi quelques cours de tournage, en apprenant exclusivement par le geste et quelques mots de chinois. J'ai pas mal voyagé là-bas et ailleurs, toujours guidée par la cuisine et la nourriture... Mon projet de diplôme portait sur l'alimentation et l'émotion du dégoût, où j'ai réalisé des objets en bois et céramiques pour la table. Loin de moi l'idée d'être céramiste, j'ai donné quelques pièces à des amis propriétaires d'une cave à manger (Agrology) qui m'ont poussé par la suite à me lancer et réaliser tout un service. Depuis le début je fais tout au modelage à la main, sans trop d'outils, sur un simple planche de bois. Pour réaliser mes premières pièces et pouvoir les cuire, j'ai apporté mon aide dans des ateliers notamment avec la céramiste Ulrike Weiss à Paris, puis à Bruxelles, où j'ai pu enfin avoir un petit bout d'atelier. De retour en France, j'avais envie de trouver un lieu pour ne faire que ça, apprendre par l'expérience et modeler tous les jours.
As-tu toujours eu l'envie d'être indépendante ?
En tout cas j'ai toujours eu l'envie d'être libre, un peu trop peut-être car se donner un cadre à soi-même ce n'est pas chose aisée ! Je suis très heureuse ainsi, c'est génial d'être capitaine de sa propre barque.
Créativité
Tu crées des petites séries uniques pour chaque restaurant avec qui tu travailles. Les chefs te donnent-ils la tonalité de départ ou as-tu carte blanche ?
Nous nous donnons mutuellement nos propres tonalités de départ. J'en ai une puisque le modelage donne une esthétique singulière, et je ne travaille pas mes émaux avec des colorants ou beaucoup d'oxydes, donc je ne propose pas des centaines de couleurs. Un blanc, des noirs, puis des variations d'ocres, fauves, violets, gris, orangés.
J'aime connaître leur univers aussi, je ne crée pas des formes précises sur demande mais des usages, ça ne m'intéresse pas vraiment de réaliser une pièce sur mesure au millimètre près et à la couleur précise, j'aime expérimenter et proposer, au risque d'échouer ! Qui n'est pas un risque d'ailleurs.
As-tu un processus créatif ?
Il est dur à décrire, je pense que j'ai besoin de voir et vivre plein de choses, de faire rouler mon intuition, et de me permettre des grands moments de calme et de solitude, où je fais mes choses comme elles viennent.
Quels sont les univers qui t'inspirent ?
Je ne dirai pas que j'ai des sujets, des périodes ou des artistes qui m'inspirent. Mais de manière générale tout ce qui est organique, amusant et mouvant m'attire. La vie m'inspire.
Food
Que représente la cuisine pour toi ?
Une manière de s'ouvrir. Le partage, la fête du quotidien, le toucher, l'exaltation du vivant. Puis manger c'est prendre soin de soi, des autres.
qui a eu un impact sur ta manière de cuisiner aujourd’hui ?
Beaucoup de monde et de cultures différentes. La façon dont j'ai grandi aussi, dans un sacré bazar qui m'a rendu très curieuse et me pousse à aller vers ce que je ne connais pas.
As-tu un petit déjeuner de prédilection ?
J'ai une passion pour le porridge. J'aime prendre le temps de me préparer mes flocons et d'y ajouter plein de trucs. Je fais tremper les flocons d'avoine ou sarrasin la veille. En ce moment j'aime bien les faire cuire avec du lait de riz, du miel, du poivre ou du piment léger, des fèves de cacao et amandes concassées, puis au dernier moment j'ajoute un fruit qui cuit un peu, de la poire ou du kaki. J'adore, c'est humide et tiède, réconfortant, mais corsé et inattendu à la fois. Avec du maté dans une grande tasse en grès.
Vie intérieure
As-tu des routines ou exercices qui te permettent de lutter contre le stress et maintenir ton énergie ?
Bien dormir, essayer de me coucher quand je suis fatiguée et jamais de réveil, lumière naturelle. Je commence à vraiment mal le vivre quand je dors mal, trop peu ou pas au bon moment. Aussi, manger des choses pleines de couleurs et fraîches, ça me met en joie. Ecouter de la musique de qualité. M'entourer de belles simplicités. Partager quelques choses avec mes proches, une écoute, un repas, un verre, des câlins. Globalement, prendre le temps et essayer de rester calme, relativiser sur tout, faire uniquement ce que j'aime, du mieux que je le peux.
As-tu des mantras ou courtes phrases que tu répètes régulièrement, qui te renforcent et t'aident à garder le cap ?
Classique mais : la seule chose dont je suis certaine, c'est que tout change. Assez pratique pour se prendre moins la tête.
Un livre / film / une personne qui t'aide ou t’a aidé dans ton épanouissement personnel ?
Mes amies, ces déesses ! Sans elles je ne serai pas grand chose. Ma famille aussi tout de même, avec leurs parcours accidentés, artistiques, et aventuriers. Certains et certaines ne sont plus là aujourd'hui mais justement, ils m'ont transmis force et courage.
Pour suivre Judith sur Instagram : @judith.lasry
Photographies de Louise Skadhauge